LES RÉVOLTÉS DE CORDOUE – roman de Ildefonso Falcones

Un roman de l’auteur barcelonais, Idefonso Falcones de Sierra (titre original, La mano de Fatima paru chez Random House Mondadori en 2009; parution française aux Éditions Robert Laffont, Paris, 2011, 876 p.  Traduit de l’espagnol par Anne Plantagenet). – Note appréciative  : 8,5/10

Remerciements à la bibliothèque de la Ville de Québec pour nous avoir prêter le livre

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Avec les discussions passionnées qui marquent l’actualité occidentale et aussi québécoise avec le projet de Charte des valeurs, j’estime que ce bouquin devrait plus faire parler de lui. Une grande partie de l’intrigue, repose en effet sur le désir du héro de trouver une façon harmonieuse de rapprocher Catholicisme et Islam. Étrangement, toutes les deux font partie intrinsèque de son héritage culturel. Matière à réflexion en perspective!

Par delà ce lien fortuit, voici quand même une lecture idéale pour ceux qui aiment les romans d’action peuplés de personnages inoubliables, de situations à la limite de l’imagination sur un fort fond historique.

Le résumé, en quatrième de couverture, ne rend que faiblement justice au foisonnement romanesque de ce volumineux ouvrage mais réussit à en donner un aperçu alléchant :

«Un royaume déchiré entre deux religions, un amour sans limites, un homme face à son destin…

1568, Royaume de Grenade. Écrasés par l’Inquisition, humiliés par des années d’oppression, les Maures prennent les armes et font couler le sang dans les villages blancs de la Sierra Nevada. Né d’une Mauresque violée par un prêtre catholique, Hernando dit «nazaréen», en raison de ses yeux bleus, est entraîné dans ce combat qu’il fera sien. Méprisé par les uns, rejeté par les autres il est confronté durant l’insurrection à la violence et à la cruauté des deux partis; il va surtout rencontrer celle qui deviendra son grand amour.
Tour à tour muletier, esclave entre les mains des Barbaresques, dresseur dans les haras royaux de Cordoue, et lettré à la Cour, Hernando, porté par la superbe et courageuse Fatima, n’aura de cesse de lutter, au péril de sa vie, pour réconcilier les deux religions en guerre et rendre à sa culture la dignité et la place qu’elle mérite.
À la suite de ses inoubliables héros, Hernando et Fatima, Les Révoltés de Cordoue nous entraîne dans une fresque historique et amoureuse traversée par le rêve de tout un peuple. Au souffle romanesque et au talent de conteur d’Ildefonso Falcones, s’ajoute une sensibilité à des thèmes – la tolérance, le droit à la différence – dont l’écho se prolonge jusqu’à nos jours.»

Comme la précédente aventure offerte par Ildefonso Falcones, La cathédral de la mer (voir le carnet de lecture en espagnol La catedral del mar; janvier 2013), ce roman est aussi une fiction historique bien documentée, mais portant sur une époque différente de l’histoire de l’Espagne.

Un peu d’histoire : La fin du 16ième siècle est une époque très agitée dans le sud-est du pays en raison des difficultés de cohabitation entre les chrétiens et les maures. Ces derniers sont des populations arabo-musulmanes établis sur le territoire depuis plus de 800 ans. La victoire des rois catholiques, Ferdinand d’Aragon et Isabel de Castille, donnent aux chrétiens le désir d’imposer leurs droits de conquérants. Le dernier souverain musulman, Boadbil, a été vaincu à Grenade en 1492. Au fil des ans, les chrétiens repoussent et isolent des centaines de milliers de maures sur des sections moins attirantes du territoire, les traitants comme êtres inférieurs et les obligeant à renier leur foi et à adopter le christianisme pour tenter de gagner un minimum de considération dans la société. Un peu plus de 100 ans plus tard, la couronne espagnole procède manu militari à la dramatique expulsion et déportation de 300 000 morisques d’Espagne.

Le roman se développe sur ce fond de contexte social et se déroule entre 1568 jusqu’à plus ou moins 1612.

Durant tout le livre, le lecteur suit ce personnage principal : Hernando Ruiz ou Ibn Amid. Au départ, il n’est qu’un adolescent né dans un contexte ambivalent, entre la chrétienté et l’Islam, entre culture arabe et espagnole. S’amorce alors les mouvements d’insurrection des morisques dans les Alpujarras, région pauvre aux abords de la Sierra Nevada. On se doute bien que la vie de Hernando sera souvent compliquée et complexe et que cela va influencer considérablement son attitude et ses choix. Mais le personnage est intelligent, curieux et déterminé et, comme il y a un dieu pour les héros de roman, Ibn Amid trouvera généralement une sortie positive aux embûches. L’histoire nous entraîne ainsi des Alpujarras jusqu’au villes de Grenade et de Cordoue dans lesquelles se passe la plus grande partie de l’action romanesque.

La présentation du territoire et de la géographie naturelle et humaine où se déroule la trame narrative, que se soit le milieu campagnard, la montagne, les villages ou les villes, est faite de manière à ce que, au final, cela donne un goût énorme de visiter la région, particulièrement, bien sûr, Grenade, Cordoue et Séville. Toutefois, pour l’étranger, il peut être difficile de s’y retrouver à partir des seules indications du livre et j’aurais apprécié pouvoir disposer, dès les premières pages, d’une carte comme la suivante qui provient de Wikipédia.

Principaux foyers de la révolte des Alpujarras 1568-1571 (tiré de http://commons.wikimedia.org/wiki/Image:Iber)

Principaux foyers de la révolte des Alpujarras 1568-1571 (Image tiré de Wikimedia Commons: «By Té y kriptonita based on Image:Iberian Peninsula base map.svg created by Redtony (self-made. Approximate borders only.) [GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html) or CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/)]»


Le roman comprend quatre parties divisées en 69 chapitres ainsi qu’un épilogue. Pour donner une autre perspective au contenu, voici les titres respectifs des grandes divisions du volume : Au nom d’Allah; Au nom de l’amour; Au nom de la foi; Au nom du Seigneur.

Dans la version française, le titre original a été rendu par : Les révoltés de Cordoue. Celui-ci parait réducteur parce qu’il semble faire perdre une subtilité originale du roman. En effet, le titre espagnol, La mano de Fatima, nous dirige non seulement à ce bijou en forme de main symétrique (à deux pouces) qui représente un motif culturel très apprécié des musulmans et qui se retrouve, en fil d’Ariane, dans tout le roman, mais il conduit aussi au personnage féminin principal de l’histoire, Fatima, amour éternel de Hernando et dont l’implication (la main) se fait sentir jusqu’au dénouement du roman malgré son absence relative de l’action.

Par ailleurs, en lien avec les questionnements sur les conséquences éventuelles d’une Charte des valeurs québécoise, il est notable que le roman avance un concept qui suggère qu’un musulman, en situation ou en territoire hostile n’a aucune obligation de se comporter ou d’apparaitre de manière différente de ceux qui l’entourent! Mes connaissances de la religion musulmane ne me permettent pas d’apprécier ce concept à sa juste valeur mais j’aimerais bien entendre l’interprétation d’exégètes.

Enfin, je crois que ce roman m’a séduit pour plusieurs raisons. D’abord à cause la plume fine et juste de Ildefonso Falcones. Par sa manière très habile de structurer l’intrigue du roman, de faire des descriptions très complètes et imagées et d’entraîner le lecteur dans des rebondissements qui s’enchaînent durant toute l’histoire. Ensuite j’avoue que le sujet lui-même me passionne parce que les les impacts inévitables de cette longue cohabitation entre ces deux cultures sur le territoire espagnol ainsi que les transferts culturels et langagiers qui en découlent, piquent rapidement ma curiosité.

Pour ma part donc, je ne peux que conseiller fortement à tous ceux qui aiment ce genre d’histoire d’en faire une lecture de chevet attentive. Ce roman en vaut la peine!

 

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