Le nuancier personnel, un défi essentiel!

À la petite école, les vendredis après-midi étaient pour moi une fête. C’était le moment du cours d’art plastique. Je me rends compte aujourd’hui que je ne devais pas être comme tous les autres. Plusieurs de mes amis et connaissances me disent en effet que c’était plutôt cauchemardesque pour eux. Dans le fond, peut-être ai-je simplement de drôles d’amis?
Cependant, sauf pour les arts et traditions populaires, le champ artistique n’a pas été central dans mon orientation professionnelle. Le naturel m’est toutefois revenu au galop au moment de la retraite. Le legs d’une panoplie d’artiste peintre a été l’occasion de me remettre à la palette.

Le charte des couleurs en formule élémentaire : 512 carreaux de mélanges un a un.

J’ai récemment réalisé un nuancier des principales couleurs acryliques que j’utilise. Bien qu’on m’ait proposé la production de cet outil depuis un bon moment, je ne m’étais pas rendu compte de l’intérêt particulier de cet exercice. A priori, j’avoue que j’envisageais cette réalisation comme un peu facile, voire d’une utilité toute restreinte. Bien au contraire, toutes les heures que j’y ai consacrées me semblent maintenant particulièrement bénéfiques. Bien sûr, ce n’est pas un exercice aisé. Plus le nombre de couleurs sélectionnées est important, plus la mise en oeuvre est longue et plus les possibilités d’erreurs augmentent. Dans mon cas, les 32 teintes différentes que j’avais choisies m’ont amené à produire un nuancier élémentaire comportant 512 cases colorées.
Je qualifie ma charte de couleurs d’élémentaire parce que les 32 couleurs de départ ne sont mélangées qu’une seule fois avec chacune des autres teintes. Ainsi, la première colonne colorée représente chaque teinte comme elle sort du tube. La seconde colonne est un mélange de la couleur de la première colonne avec le blanc de titane qui occupe le premier rang dans la première colonne. La troisième colonne est un mélange de la couleur de la première colonne avec le titane écru, qui est la couleur de la seconde colonne. Et ainsi de suite…

Alignement des 32 tubes dans l’ordre voulu pour le nuancier.

Pourquoi 32 couleurs? Simplement parce que, divisant le carton sur lequel je m’apprêtais à réaliser le nuancier, j’avais la possibilité de 32 lignes d’un centimètre de largeur. J’ai d’abord éliminé certaines couleurs moins courantes. Puis j’ai procédé à l’ordonnancement des couleurs retenues dans un ordre qui me semblait progressif : du blanc, au jaune, à l’orange, au rouge, au brun, au violet, au bleu, au vert, jusque dans ses teintes jaunâtres, pour revenir au début de la chaîne, mais en fermant la boucle avec un gris de Payne. Les 32 lignes des couleurs ont été numérotées et ces numéros, reportés dans les colonnes, permettent d’identifier rapidement avec quelle autre couleur celle de la ligne concernée est mélangée.

Chaque ligne comporte ses informations spécifiques

Dans la colonne d’extrême gauche du nuancier, j’ai ensuite reporté, pour chaque couleur, l’information de base qui se trouve sur chaque tube, à savoir le nom de la couleur, le code du ou des pigments utilisés, une initiale identifiant la compagnie productrice, et enfin la viscosité. Cette dernière information m’a paru utile lorsque je me suis rendu compte que j’avais deux tubes de soft body dans le lot. Ils ont été identifiés par un s encerclé. Les compagnies productrices sont Liquitex (L), Golden (G) et Winsor et Newton (WN). Quant à l’information sur les pigments, elle est essentielle parce qu’il s’agit ici d’une nomenclature normalisée reconnue internationalement (Colour Index) et qu’elle va au delà des noms de couleur attribués par les compagnies productrices qui peuvent être poétiques à l’occasion! Elle s’avère aussi très utile pour distinguer les couleurs monopigmentaires, à privilégier aux couleurs qui sont déjà un mélange. Le Colour Index fonctionne en gros comme ceci: le P est pour pigment, suivi de l’indication de la famille de couleur, par exemple W (white), Y (yellow), O (orange), et enfin, le numéro précise le pigment particulier.

Un pinceau à angle de la dimension appropriée et une spatule sont nécessaires aux coloris.

Une fois la préparation complétée, c’est là que le plaisir de produire le nuancier coloré commence. Pour ma part, j’ai procédé par ligne. On remplit d’abord la case de la colonne zéro avec la teinte de départ. Ensuite, on isole sur le papier une bonne goutte de cette peinture et on la mélange à la spatule avec une goutte similaire de l’autre teinte. Puis, on l’applique au pinceau dans le carré du nuancier. Reste à nettoyer le pinceau et la spatule et à recommencer l’exercice.

La palette Sta-Wet est rapidement devenu trop remplie pour effectuer tous les mélanges.

Deux palettes papier ont pris la relève pour les mélanges : un rendu pas désagréable.

Comme je n’aime pas gaspiller la peinture, j’ai utilisé la technique de la toile de récupération pour y placer le surplus de couleur avant de nettoyer le pinceau. J’ai ainsi pu produire une œuvre de type abstrait. J’hésite encore sur le titre à donner : Séquelle d’une charte ou Vortex lumineux…

Séquelle d’une charte, ou Vortex lumineux ? Une œuvre colorée, un peu abstraite, en format 6 x 6 pouces.

J’admets que le tout est un peu long, surtout si on a 32 couleurs à mélanger de la sorte. Mais, quel bonheur, à chaque fois, de voir apparaître cette nouvelle couleur qui devient alors une référence inestimable pour toutes les oeuvres subséquentes. L’artiste peut ensuite analyser l’ensemble des résultats obtenus, en tirer des conclusions générales ou personnelles quant aux différents mélanges possibles et quant aux pigments utilisés. L’outil ne peut faire autrement que de lui servir de guide quotidien dans ses productions ultérieures.