Image de la semaine – 7 février 2017

Ce jardin de givre

Le mois de février est déjà parmi nous. C’est pour moi un des mois sombre du calendrier. C’est un mois qui, juste à y penser, fait frissonner. C’est en effet, avec janvier, le mois par excellence des grands froids de saison. Oui, le mois de février peut porter un peu à la dépresse et même à la détresse. À voir tous ces décors de givre qui ornent naturellement plusieurs carreaux, de nos maisons, de nos tambours, comment de pas sentir un petit passage sombre dans nos esprits?

La création spontanée qui se pose et se fige à l’occasion dans certaines fenêtres sous l’action du froid intense et de traces d’humidité ont parfois de quoi inspirer des artistes. Photo prise en 2014

Après tout, le manque quotidien de lumière naturelle est commencé depuis plusieurs semaines. Quant à l’allongement des jours, il parait encore superficiel.
Mais ne sont-elles pas magnifiques ces fenêtres remplies de givre? La spontanéité de leur apparition et l’ingéniosité et la diversité des motifs proposés sont pour moi comme une œuvre de génie de la nature. Cependant, il existe une dualité certaine entre l’aspect imaginatif et lumineux de cette création naturelle et le moment de l’année, bien terne, où nous arrivent ces jardins de givres. Cette dualité, cette rencontre de forces opposées a-t-elle inspiré Émile Nelligan? Son poème, soir d’hiver, est particulièrement émouvant et même dérangeant. Je ne peux m’empêcher de le proposer ci-après :

Soir d’hiver

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j’ai, que j’ai !

Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire : Où vis-je ? Où vais-je ?
Tous ses espoirs gisent gelés :
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.

Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À tout l’ennui que j’ai, que j’ai !…

Cette oeuvre à été composée en 1898 alors que l’auteur n’avait que 19 ans. Elle a été publié  dans : Œuvres poétiques complètes I : Poésies complètes 1896-1941, nouv. éd. entièrement refondue d’après l’éd. crit. de 1991, préparée par Réjean Robidoux et Paul Wyczynski, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2007, p. 215.
Je l’ai reprise de l’Encyclopédie de l’Agora.
L’année suivante Nelligan sera interné, ce qui mettra fin à son œuvre poétique.
Ce poème est triste. Très triste.
Il laisse un goût amers, un goût de février, un goût de noirceur, un gout de mal-être.
Mais il me laisse aussi une question à laquelle je ne trouve pas de réponse :
Le «Qu’est-ce que…» à la quatrième ligne du premier et du quatrième paragraphe ne devrait-il pas introduire une interrogation?
Et si celle-ci se lisait ainsi : «Qu’est-ce que le spasme de vivre?»
Les vers qui suivent pourraient être :
«Ah, la douleur que j’ai, que j’ai !»
«Ah, tout l’ennui que j’ai, que j’ai !»
Enfin, une idée comme ça d’un qui a surtout des questions…
Le mois de février est ENFIN parmi nous! Pour le voir positivement, on pourrait se dire que c’est un petit mois court et donc que mars n’est plus trop loin…

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